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SORTIE DE GARAGES - 1
Ces voitures qui ne veulent pas mourir
LE MONDE | 05.08.03 | 12h50
Discrètement, elles poursuivent leur route dans des pays en voie de développement,
telle la Peugeot 504 en Afrique et au Moyen-Orient.
Le mois de juillet 2003 aura été fatal à deux grandes figures
de l'automobile populaire. Coup sur coup, la fabrication de la Volkswagen Coccinelle,
titulaire du record du monde de la longévité (22 millions d'exemplaires
depuis 1938), et de la Fiat Panda (une jeunesse : vingt-trois années
seulement au compteur) a définitivement cessé.
Les voitures, même les plus héroïques, ne sont pas immortelles, mais d'autres s'accrochent et ne veulent toujours pas mourir. Discrètement, elles poursuivent leur route, le plus souvent - mais pas exclusivement - dans des pays en voie de développement, où elles permettent à l'automobile de devenir un luxe un peu moins inaccessible.
Au Nigeria, on peut aujourd'hui encore ressortir d'un garage au volant d'une Peugeot 504 flambant neuve, avec levier de vitesses au volant et carburateur double corps. Apparue en 1968, cette grosse voiture carrée et confortable que l'on ne croise plus guère sur nos routes - on en trouve en bon état pour une bouchée de pain - est devenue la "Pidjot" (Peugeot), vrai symbole national nigérian.
La 504 produite depuis 1975 par l'usine Peugeot de Kadouna, dans le nord de ce pays de 132 millions d'habitants, n'est pas à proprement parler un modèle bon marché. Son prix (à partir de 17 000 € environ) est plus élevé qu'une Peugeot 306 neuve et à peine inférieur à celui d'une 406 (21 000 € ) millésime 2003.
Seul modèle produit localement, la 504 est depuis vingt-cinq ans le véhicule le plus vendu au Nigeria. Voiture de l'administration, en particulier des fonctionnaires des douanes, qui patrouillent à son bord, de la police, des grandes entreprises pétrolières, elle fait également office de familiale en version berline ou break.
Cette auto - dont Peugeot assurait jadis que le dessin des phares, légèrement en amande, avait été inspiré par les yeux de Sophia Loren - a fait depuis longtemps ses preuves en Afrique et au Moyen-Orient, où continuent de circuler de nombreux exemplaires. La garde au sol rehaussée et la suspension "africaine" (c'est-à-dire renforcée) en font un taxi-brousse idéal, mais ce sont surtout sa robustesse et sa simplicité mécanique qui lui permettent de défier le temps. "On peut être sûr de pouvoir faire réparer une 504 dans le moindre petit village et les pièces sont facilement disponibles", insiste Olivier Levigne, responsable de la zone Afrique de l'Ouest chez Peugeot.
Au Nigeria, confronté depuis de longues années à une récession économique, la 504 apparaît aussi comme un véhicule adapté aux temps difficiles, et son niveau de consommation - 15 litres aux 100 kilomètres, au bas mot - ne constitue pas un gros handicap puisque le litre d'essence coûte moins de 20 centimes d'euro. Hélas, la carrière africaine de la "Pidjot" touche à sa fin. Dans deux ans, la production pourrait cesser et laisser le champ libre aux Peugeot modernes, plus sûres.
La première génération de la Volkswagen Golf, née en 1974 à Wolfsburg, poursuit, elle aussi, sa carrière sur le continent africain. Baptisée Citi Golf, vendue l'équivalent de 5 800 € €et produite à raison de quelque 13 500 unités par an, elle est considérée comme une voiture d'étudiant, bon marché.
Autre curiosité locale, le pick-up Nissan Bakkie, dérivé d'une antique Datsun Sunny. Diffusé à 250 000 exemplaires, il entretient depuis 1971 sa réputation de cheval de trait motorisé. En Inde, l'inusable et inimitable Hindustan Ambassador, produite à plus de 600 000 exemplaires, est une sorte de vache sacrée. Il s'agit d'une Morris Oxford, modèle 1948, agrémentée de la direction assistée et d'une climatisation. Longtemps voiture officielle de l'administration indienne, l'Ambassador ne représente plus qu'une petite partie des immatriculations, mais elle sillonne les routes indiennes avec toujours autant de flegme.
Elue voiture de l'année en 1967, la Fiat 124 a changé de marque mais pas de technologie en devenant, dans les années 1970, la Lada 2101 (aujourd'hui dénommée Lada 2104, 2105 ou 2107), produite à près de trois millions d'exemplaires.
Renforcée pour résister à la rudesse du climat russe (chauffage redimensionné, suspension et garde au sol modifiés), cette Lada toute carrée issue de l'usine géante de Togliattigrad n'a plus cours chez nous, où elle a toujours fait l'objet de railleries. En Rus- sie, où son prix de vente atteint 100 000 roubles (soit 3 000 € environ), elle demeure une voiture très populaire et bénéficie, elle aussi, de son aptitude à passer entre les mains de tout mécanicien un peu bricoleur.
Lada n'est pas la seule marque à faire vivre les Fiat des années 1970. Le constructeur turc Tofas poursuit la fabrication du modèle 131 (1974) mais aussi de la Uno (1983). En revanche, la Renault 12, longtemps favorite de la firme roumaine Dacia, a discrètement tiré sa révérence.
En France aussi on peut croiser quelques vétérans portant beau. Le petit utilitaire Citroën C15, directement issu de la Visa - un modèle vieux de vingt-cinq ans -, défie la logique commerciale et poursuit une carrière qui aurait dû, en principe, s'interrompre depuis belle lurette. Les maçons, les plâtriers et les chasseurs de sangliers ont contribué à prolonger la carrière de cette auto dure à cuire, qui épouse les désirs de ceux qui attendent d'un véhicule qu'il soit fonctionnel et bon marché. La doyenne et sans doute la plus séduisante des voitures immortelles reste la très britannique Morgan. Le modèle 4/4 (quatre roues, quatre cylindres), intronisé en 1936 par cette firme autrefois réputée pour ses voitures à trois roues, n'a depuis jamais quitté le catalogue.
Les constructeurs, conscients que ces doyennes qui ne leur coûtent presque rien à fabriquer représentent de jolies rentes et font vibrer les nostalgiques, fantasment sur le thème de la réincarnation. Mercedes a reproduit à l'identique cent exemplaires du tricycle Benz de 1886, qui ont été vendus à prix d'or à des fanatiques de la marque. Ford a fait de même en refabriquant à la main six Model-T (produit à 15 millions d'exemplaires de 1908 à 1927) que la firme réserve pour les grandes occasions.
Jean-Michel Normand
PROCHAIN ARTICLE : Les orfèvres de la voiture faite main
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Adieu, Coccinelle
C'en est terminé pour la Coccinelle, dont la production vient de s'arrêter
dans l'usine mexicaine de Puebla. Depuis 1938 auront été produits
plus de vingt millions d'exemplaires de la Volkswagen fondatrice, initialement
dénommée KDF ("Kraft durch Freude", "le travail
par la joie"). Projet impulsé par Hitler, qui voulait doter le Reich
de sa "voiture du peuple", le scarabée de Wolfsburg a été
en quelque sorte amnistié après la seconde guerre mondiale. En
fait, sa carrière ne débute véritablement qu'en 1945. Le
moteur refroidi par air est installé à l'arrière et il
démarre par tous les temps. Ce n'est alors pas si courant. La petite
voiture ronde créée par Ferdinand Porsche demeure pendant vingt
ans le produit unique de Volkswagen et symbolise le miracle allemand. Puis la
Coccinelle devient l'auto bon marché et décalée de la jeunesse
américaine en quête d'indépendance. La version camionnette
(le Combi) devient une icône du rock'n'roll, et la "cox" cabriolet
séduit les bourgeois dans le vent. Evincée par la Golf, la Coccinelle
s'était retirée au Mexique depuis presque trente ans. Elle laisse
derrière elle la New Beetle, une héritière branchée.
Requiem pour la Fiat Panda
Une vraie voiture taillée pour la ville, avec une frimousse avenante
et un joli nom. La Fiat Panda (4 180 000 unités entre 1980 et 2003) a
fait mieux que la Fiat 500 (4 millions). Moderne, fonctionnelle, la Panda est
dessinée par Giugiaro, et ses volumes bien répartis lui donnent
une allure sérieuse. En France, où les acheteurs de petites voitures
sont particulièrement exigeants, la firme de Turin en écoulera
presque 400 000. Hélas, les Panda se reproduisent difficilement. Fiat
n'a pas su renouveler à temps son best-seller, dont la carrière
exceptionnellement longue tient autant à ses qualités intrinsèques
qu'à l'incapacité des dernières générations
de Fiat (Cinquecento et Seicento) à prendre le relais. Très appréciée
en Italie, où elle occupait encore la cinquième place des ventes
ces derniers mois, la Panda sera remplacée par la petite Gingo, sur laquelle
pèsent de lourds enjeux.
L'Ambassador, fidèle au poste
"Oh my dear !", a-t-on envie de s'écrier devant la Hindustan
Ambassador. Impossible de trouver plus anglais que cette voiture, dont la fidélité
au modèle d'origine (une Morris Oxford de 1954) est d'une parfaite sincérité,
hormis la présence d'une direction assistée et d'une climatisation.
La dernière opération de rajeunissement - était-ce bien
nécessaire ? - s'est limitée à de légères
modifications des phares et de la calandre.Cette propulsion par les roues arrière,
qui dispose depuis 1991 de moteurs assez valeureux (1,8 litre essence ou 2 litres
diesel), quoique dépassés et d'un poids plume, a été
diffusée à 600 000 exemplaires en Inde. Longtemps véhicule
officiel des administrations, l'Hindustan Ambassador voit ses ventes (désormais
un peu plus de 10 000 par an) reculer régulièrement, mais elle
reste prisée des particuliers. Ceux-ci apprécient sans doute davantage
son tarif, inférieur de 25 % à celui d'une Opel Corsa, que sa
ligne furieusement rétro.
Morgan for ever
Inchangée depuis 1936, la Morgan 4/4 exprime un subtil alliage de conservatisme
affiché (la ligne années 1930, le long capot strié, les
montants de carrosserie en frêne, l'absence de vitres) et de modernisme
habilement dissimulé (le moteur est le 1,8 litre seize soupapes de la
Ford Focus et l'on peut aussi installer un V8 made in England). Dépourvue
d'une direction assistée et sèchement suspendue, cette voiture
offre le supplément d'âme d'une voiture ancienne mais ne craint
ni le "vapor lock" ni la surchauffe. Au prix auquel elle s'affiche
(à partir de 42 500 € ), on n'en attendait pas moins. La maison
Jacques Savoye, qui assure l'importation des Morgan en France, en diffuse chaque
année une trentaine et propose un échappement spécial qui
donne au moteur Ford une belle sonorité, à l'ancienne. En 1990,
il fallait attendre jusqu'à sept ans pour prendre possession de sa Morgan.
Au prix d'un vaste effort de réorganisation, l'usine - ou plutôt
l'atelier - de Malvern Link (Worcestershire) est passée de dix... à
douze unités par semaine, et les délais sont devenus presque raisonnables.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.08.03